Paris, mai 1943
Martine et son amant allemand Herman Schmidt se retrouvent dans un appartement. Il est allé aux ordres à Berlin et devant les dégâts causés par les bombardements il a très bien compris que la guerre était perdue.
Ils passèrent par le jardin
public. Il ne faisait pas froid, l’air était doux en cette fin de printemps. Il
choisit un banc isolé près de l’aire de jeux des enfants, loin de toute
végétation propice à dissimuler d’éventuelles oreilles indiscrètes. Il lui
dit :
-
Martine, je vous ai dit avoir pris des
précautions pour la fin de la guerre mais les choses ont changé. Si je m’enfuis
au loin je vous perds irrémédiablement. J’ai pensé que si j’étais capturé par
les Américains je ne risquais pas grand-chose car je n’ai commis aucun acte
contraire à la Convention de Genève ni aux lois de l’honneur militaire. Je ne
suis qu’un petit scribouillard mais ils voudront le vérifier et ils me
garderont aux moins deux ans car mon cas ne sera pas prioritaire. C’est long
deux ans sans vous. Je ne pense pas que vous aurez ensuite envie de me revoir.
Alors j’ai imaginé quelque chose qui pourrait constituer une monnaie d’échange
pour moi comme pour vous.
-
C’est gentil de penser à moi, mais…
-
Ne dites rien ! Laissez-moi vous expliquer mon
plan en deux mots : les œuvres d’art volées en France et en Europe sont
stockées dans des lieux secrets. Je vais connaitre l’emplacement de ces
cavernes d’Ali-baba ainsi que de la liste complète de ce qui s’y trouve. Ces
listes je vous en remettrai une copie. Quand je serai emprisonné vous irez voir
les Américains et vous leur expliquerez la bonne volonté dont j’ai fait preuve
pour préserver le patrimoine européen. Cela devrait nous dédouaner tous les
deux.
-
…
-
Vous ne dites rien ?
-
Non. Je suis étonnée de la confiance que vous me
faites, mais ce n’est pas la première fois. Je pourrais vous dénoncer aux SS et
demander à être intégrée dans l’armée Allemande pour services rendus. A la fin
de la guerre je disparaitrais facilement.
-
Vous ? Dans l’armée allemande ? A
d’autres ! Vous laisseriez votre fils ?
- Bon. Je pourrais aussi vous laisser tomber
complètement et dire aux Américains que c’est moi qui ai dérobé cette liste
pour en retirer tout le profit.
-
Vous feriez ça ?
-
Non. En fait vous ne prenez pas beaucoup de
risques avec moi.
- Un peu. Je ne sais pas qui vous allez rencontrer
dans les mois qui viennent. Peut-être allez-vous tomber amoureuse de…
Birgit !
-
Hermann, vous dites des bêtises !
-
Oui, ça me fait du bien. Je vous ai dit que
j’allais être au même niveau qu’elle dans la hiérarchie militaire. C’est vrai
mais uniquement en théorie. Elle va être nommée SS-Sturmbannführer,
l’équivalent de Major dans la Wehrmacht ou Commandant dans l’armée Française,
mais les SS ont beaucoup plus de pouvoir que les autres militaires. Cela va
devenir terrible pour les terroristes. Au fur et à mesure où la défaite
apparaitra comme étant de plus en plus inéluctable les SS et leurs complices
français les Miliciens vont se transformer en chiens enragés. Je ne connais pas
bien les chiens mais on m’a appris que les plus dangereux n’étaient pas les
braillards mais ceux qui avaient peur. Et la peur est en train de changer de
camp…
Plus tard
dans la nuit.
-
Herr Major ?
-
Ja ?
-
Je vois que vous répondez sans hésiter à
l’énoncé de votre nouveau grade !
-
C’est pour vérifier ça que vous me
réveillez ?
-
Non. J’ai réfléchi à ce que vous m’avez dit dans
le square.
-
Vous réfléchissez quand je vous fais
l’amour ?
-
Mais non, après ! Vous êtes bête !
-
Si vous le dites…
- Je reprends vos propos… Tout cela reste pure
spéculation bien entendu. Au lieu d’être prisonnier vous pourriez être expatrié
dans un pays neutre : Suisse, Espagne, Portugal, enfin pas très loin de la
France.
-
Continuez…
- Imaginons… Je dis bien IMAGINONS… que les
vainqueurs n’aient aucun doute sur ma fidélité et que je sois même considérée
comme une personne au-dessus de tout soupçon.
-
J’imagine ça sans peine !
-
Bien. Vous êtes à l’étranger, pas loin d’ici et
vous détenez un document du plus haut intérêt. Moi je vous connais de longue date
et vous avez confiance en moi, les Américains également. Que peut-il se
passer ?
- Je ne sais pas… Attendez… Je crois que je
commence à comprendre…
- Cela ne m’étonne pas ! Allez-y pour voir…
- Donc vous racontez aux Américains que vous êtes
en mesure de contacter un officier allemand réfugié en pays neutre qui possède
la liste qu’ils recherchent vainement depuis des mois. Hélas, cet officier est
un peu vénal et a besoin d’argent pour recommencer sa vie car il a tout perdu
et les temps sont durs. Je vous fais confiance pour me rendre pitoyable !
-
Pas mal vu ! Donc je suis en mesure de
négocier le prix mais c’est cher, très cher !
- Oui, mais on leur ferait une petite ristourne à
condition de tout oublier, y compris les petites affaires de la galerie d’art,
les relations avec Monsieur Michel et Madame Hélène par exemple.
- Commandant je crois que vous avez la qualité que
les nazis reprochent tant aux Juifs : le sens des affaires !
- Oui, je l’avoue, mais si l’on y regarde de plus
près c’est vous qui avez eu cette idée ! Je devrais pouvoir trouver le
moyen de passer en Espagne en temps opportun mais il faut que je recherche une
filière.
-
Ne cherchez pas, il y a Paloco.
-
Paloco ? Est-ce un homme ? Vous le
connaissez ? Un homme sûr ?
-
Plus que ça, il m’aime. Il aime aussi « los
toros », la peinture et la Mort. J’ai acheté tous ses tableaux, et vous
les avez appréciés.
-
Les taureaux, c’est lui ?
-
Oui…
-
Au fait,
maintenant que je suis réveillé… si on…
-
« Baiserai-je mon père ? »
-
Pardon ?
- C’est une plaisanterie : notre grand
Molière jouait fréquemment sur les deux sens du mot « baiser » qui
existaient déjà au XVIIème siècle. Il avait coutume de mettre dans
la bouche de niais ou d’ingénues des paroles à double sens.
-
Dans la bouche dites-vous… Eva ?
-
Eva ? Qui est Eva ?
Hermann Schmidt se contenta de
rire en disant que c’était une comédienne de Molière. Pour le moment il avait
d’autres idées en tête et ne voulait pas parler boutique.
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