Traduction

Michel en 1941

Juin 1941 Michel, après avoir participé au camp Scout de Valmatte où a été accueilli le Maréchal Pétain, termine l'année scolaire à Saint-Julien avec ses amis. "Godon" est le nom du garçon qui avait traité Michel de "sale Juif" à Paris.Cela recommence à Saint-Julien avec Dutilleul.


La journée scolaire commença très mal. Dutilleul, le « Godon » de Saint-Julien, apostropha le trio dès l’entrée dans la cour :
-       Tiens voilà les bicanars des Bordes et le youpin !
Michel sentit une sueur froide lui couler dans le dos et sa glotte se bloquer d’émotion : même là il n’était pas à l’abri. Riri se campa en face du garçon :
-     Dis-donc « La Tisane » pourquoi tu dis ça ? Mon copain est aussi catholique que toi et en plus il sert la messe !
-       Ça ne prouve rien, meunier de mes deux, Chnédère  c’est un nom de youpin !
-        Ça va pas couilla d’aoucho[1].
-      Ça va très bien teïto de yau buli[2] ! On peut être Juif et aller à la messe pour faire semblant ! De toute façon on peut le savoir, y n’a qu’à montrer sa bite ! Je suis sûr qu’il lui en manque un bout !
-       Pauvre con !
-       Et toi, fi dé loueïro[3] !
L’insulte était trop grave pour qu’on la laisse passer sans réagir. Riri qui était petit mais râblé cognait sec. Dutilleul n’étant pas un lâche répliqua aussitôt et la bagarre aurait mal tourné si le « père » Valade ne s’était pas rapidement interposé. Les belligérants prirent chacun un jautou[4] retentissant assorti d’un coup de pied au cul avant même d’avoir pu donner une quelconque explication. Ensuite ils héritèrent d’une punition circonstanciée : Riri eut à copier 100 fois une phrase moralisatrice sur la colère « mauvaise conseillère » quant à Dutilleul il lui fallut reproduire 10 fois la leçon de géographie sur… la Loire !
 L’instituteur connaissait parfaitement la signification de l’insulte qui avait été proférée mais il ajouta sans rire : « Mon pauvre Dutilleul, les fils de la Loire valent bien les fils du Limousin. » Il s’adressa ensuite à la classe de façon solennelle et dit :
-       Je vous rappelle le règlement scolaire : il est interdit d’insulter ses camarades de même qu’il est interdit de parler une autre langue que le Français. Tout contrevenant sera sévèrement réprimandé et en cas de récidive je convoquerai les parents. Et maintenant, garde-à-vous ! Au drapeau ! … Maréchal, nous voilà…
Chacun entonna l’hymne à la gloire du grand soldat qui avait fait « don de sa personne à la France ».
La menace du père Valade était d’envergure : la convocation des parents était synonyme d’une belle raclée au retour, ne serait-ce que pour laver l’honneur de la famille. Mais l’affaire n’était malheureusement pas close. A la récréation les garçons du certificat demandèrent à Michel s’il était un bon chrétien. Il l’affirma avec force.  Le grand Galivaud dit : « Dutilleul et toi vous dites le contraire. Il n’y a que le jugement de Dieu pour vous séparer ». Galivaud avait appris à grand peine ses leçons d’histoire et n’en avait retenu que ce qui lui avait plu, c’est-à-dire les bagarres. Le Martial Dumur répliqua qu’il n’était pas bien malin de provoquer un nouveau combat singulier que le père Valade aurait vite fait cesser avec des arguments plus que convaincants. Il n’y avait plus qu’ seule façon de savoir la vérité : le garçon devait montrer son birou[5] car les Juifs n’ont plus la peau qui cache le « bout rouge ». C’est du moins ce qui se disait. Michel leur dit qu’il s’en foutait bien et qu’il leur montrerait sa quéquette mais à la condition que Dutilleul en fasse autant : le jugement de Dieu traitait équitablement accusateur et accusé. A la suite d’un murmure approbatif, Galivaud dit : « Ça va, c’est justice, allez-y sortez votre bouci[6]». Michel obtempéra et les garçons purent constater qu’il n’y avait rien de particulier à voir. On se tourna vers Dutilleul qui ne semblait pas pressé de s’exécuter. Le Martial Dumur lui dit : « Maintenant, Dutilleul, tu vas nous montrer la tienne, des fois que tu serais Juif ! Remarque, nous en s’en fout que tu sois Juif, d’ailleurs on ne sait même pas trop ce que c’est, mais comme tu as accusé Schneider et qu’il a montré son auzeu sans faire d’histoires il est normal que tu en fasses autant. »
Les autres garçons approuvèrent de la tête mais Dutilleul ne voulut pas se prêter au jeu, ce qui déclencha des huées immédiatement arrêtées par les grands : « Fermez-la, bandes de cons, vous allez faire venir le père Valade ! Allez lou téliaud [7]soit tu la montres maintenant soit on te chopera à la sortie avec le Martial et on te foutra la biroute à l’air en plein devant les filles. Pas devant les gamines, devant celles du certif : elles n’ont pas fini de se marrer si tu veux mon avis. Et puis tu devrais faire gaffe avec la Suzanne et ses dents à minja lou buli [8]elle pourrait bien te la croquer! » Il n’y avait pas moyen de faire autrement et le garçon dut supporter les sarcasmes totalement injustifiés de ses copains sur la taille prétendument ridicule de son auzelou.[9]
 Michel sut qu’il avait désormais un ennemi mortel. Pourquoi devait-il à chaque fois se justifier, prouver sa bonne foi comme s’il avait été un voleur ou un escroc ?   Qu’avaient fait ces Juifs pour susciter autant de haine ? Ceux qu’il connaissait étaient des personnes honnêtes et travailleuses, pas des bandits ou des profiteurs.
Plus tard il apprit de la bouche de Riri que Monsieur Dutilleul était le Receveur des Postes du village et que Léon Couturier, son père, disait en aparté qu’il n’était pas « franc du collier », le soupçonnant même d’écouter les conversations téléphoniques. Le garçon précisa :
-       J’en suis sûr parce que mon père, quand il voit ses copains, il leur dit de parler que de choses du métier quand ils lui téléphonent, même pas des affaires municipales. Mais aussi je crois qu’il se fout de la gueule du père Dutilleul car chaque fois qu’il passe un coup de fil il dit à la fin de la conversation: « Attention camarade, des oreilles ennemies nous écoutent » et ensuite il rigole. Le redis à personne mais je crois que Dutilleul c’est un « collabo ».
-       Un collabo ? C’est quoi.
-       Je sais pas trop mais c’est mal, pour sûr ! Quand mon père en parle il a les yeux méchants.






[1] Colhas d’aucha : couilles d’oie !
[2] Testa de uòu bulit : Tête d’œuf bouilli !
[3] Filh de loira : Fils de pute ! En général c’est plutôt un juron banal mais cela devient une insulte si l’on s’adresse à quelqu’un. La loira est en fait la loutre qui vit au bord de l’eau comme les prostituées dans le « bord d’eau » devenu « bordel ».
[4]Jauton : gifle.
[5] Biron : verge.
[6] Bocin :Morceau
[7] Lo telhaud : Le tilleul
[8] Minjar lo bulit : Manger la viande bouillie (pot au feu). Se dit d’une personne aux incisives proéminentes.
[9] Auselon : petit oiseau, oisillon.